1. Ce qui fonctionne à 3
personnes devient risqué à 10
Dans les toutes premières phases
de la vie d'une startup, les relations sont souvent informelles. Les décisions
se prennent à l’oral, par téléphone, sur Slack ou lors d’échanges rapides. Cela
donne de la flexibilité et de la réactivité, mais ce mode de fonctionnement
atteint rapidement ses limites dès que l’équipe s’agrandit.
Quelques exemples concrets :
- Une promesse d’augmentation formulée à chaud, sans
écrit : "On passe ton salaire à 40 000 euros dès que ce projet est
terminé." Le salarié s’en souvient, mais la direction peut l’oublier
ou revenir dessus. En cas de désaccord, l’absence de preuve peut coûter
cher.
- Le télétravail accepté « à la demande », sans
politique claire : certains viennent une fois par semaine, d’autres
jamais. Un nouveau collaborateur demande un full remote, et aucune règle
n’existe pour justifier une réponse cohérente.
- Des congés posés sans trace formelle : un salarié
s’absente une journée avec un simple accord oral. En fin d’année, des
écarts apparaissent dans les compteurs. Sans preuve écrite, l’entreprise
ne peut opposer aucun justificatif en cas de contestation.
Les risques d’un
fonctionnement informel
Ce flou génère des tensions
internes et expose la structure à des risques juridiques réels :
- Inégalités de traitement entre salariés
- Difficultés à justifier une décision en cas de
litige prud’homal
- Contrôle URSSAF compliqué par l’absence de
traçabilité
- Problèmes lors d’un audit d’investisseur (absence
de documents de référence)
- Perte de crédibilité du management à mesure que
l’équipe grandit
Mettre en place une base RH
claire et accessible
Il n’est pas nécessaire
d’investir immédiatement dans un SIRH complet. Une simple organisation sur
Google Drive, Notion ou un dossier partagé peut suffire dans un premier temps.
Voici les documents essentiels
à créer ou formaliser :
- Modèles de contrat de travail et d’avenants
- Politique de télétravail (jours autorisés,
matériel, conditions)
- Processus de validation des congés (écrit
obligatoire, canal unique)
- Tableau de suivi RH (dates d’entrée, type de
contrat, statut, rémunération, convention collective appliquée)
Conseil : anticipez.
Formaliser ces règles dès que possible vous fera gagner du temps et vous
évitera des litiges à mesure que l’équipe grandit. Si besoin, faites valider
vos modèles par un prestataire spécialisé pour vous assurer qu’ils sont
conformes et adaptés à votre activité.
2. Structurer la gestion de la
paie (avant qu’elle devienne ingérable)
La gestion de la paie est souvent
perçue comme une formalité tant qu’il n’y a qu’un ou deux salariés. Pourtant,
c’est l’un des domaines où les erreurs peuvent avoir des conséquences
immédiates : litiges avec les salariés, redressements URSSAF, blocages de
droits sociaux (IJSS, retraite, chômage), etc.
À mesure que l’entreprise
grandit, la complexité s’accroît rapidement : gestion des arrêts maladie, suivi
des IJSS subrogées, application des bons taux AT/MP, mise à jour des plafonds,
primes exceptionnelles, heures supplémentaires, gestion des absences,
affiliation aux organismes de prévoyance et de mutuelle… Le moindre oubli ou
mauvais paramétrage peut déclencher un effet domino coûteux.
Exemples fréquents :
- Une mauvaise codification d’un arrêt maladie dans
la DSN bloque le remboursement des IJSS.
- Un oubli de rattachement à la complémentaire santé
empêche un salarié d’être couvert.
- Un taux AT/MP non mis à jour entraîne une
sous-cotisation avec rattrapage URSSAF.
- Une régularisation mal faite provoque une
surcotisation sur plusieurs mois.
Ces situations sont d’autant plus
fréquentes que les outils automatisés, souvent choisis pour leur coût ou leur
promesse de simplicité, ne couvrent pas la complexité réelle d’une startup en
croissance : profils multiples, statuts variés, primes ponctuelles, changement
de convention collective, ruptures conventionnelles, télétravail international,
etc.
Conseil : Il est préférable de structurer
la gestion de la paie dès les premières embauches, en choisissant l’une des
deux approches suivantes :
- Externaliser auprès d’un prestataire
expérimenté, spécialisé dans les startups. Cela permet de sécuriser
l’ensemble des déclarations sociales, de bénéficier de conseils adaptés à
votre situation (convention collective, statut, aides, etc.), et d’éviter
les mauvaises surprises. Un prestataire réactif peut aussi vous
accompagner en cas d’urgence (régularisation, DSN rejetée, vérification
d’un solde de tout compte).
- Mettre en place une solution de paie robuste et
évolutive, pilotée en interne mais accompagnée par un professionnel.
Cela suppose un minimum de formation et d’investissement dans le suivi
réglementaire, mais peut être pertinent si vous avez un profil
administratif en interne ou un besoin de contrôle direct.
Dans les deux cas, il est
fortement déconseillé de s’appuyer exclusivement sur des solutions automatisées
"low cost" dès que vous dépassez deux ou trois salariés, ou que vous
avez des cas complexes. Ces outils conviennent à des structures très simples,
mais montrent rapidement leurs limites en cas de contrôle, de changement ou
d’irrégularité.
3. Anticiper les seuils sociaux et leurs conséquences
La législation sociale française
prévoit plusieurs seuils d’effectif à partir desquels des obligations nouvelles
s’imposent automatiquement à l’employeur. Ces seuils — notamment ceux de 11, 20
et 50 salariés — peuvent avoir des impacts significatifs sur les charges,
les obligations administratives et la gestion interne de l’entreprise.
Exemples de seuils et de
conséquences :
- Renforcement des obligations liées à la médecine
du travail
- Possible exigence de règlement intérieur,
- Apparition du droit à la représentation du
personnel.
- À partir de 20 salariés :
- Obligation d’emploi de 6 % de travailleurs
handicapés,
- Obligations spécifiques en matière d’égalité
professionnelle.
- À partir de 50 salariés :
- Mise en place obligatoire du Comité Social et
Économique (CSE),
- Obligation de négocier des dispositifs d’épargne
salariale (intéressement, participation),
- Règlement intérieur obligatoire,
- Renforcement des obligations en matière de
sécurité, de consultation et d’information.
Un effet mécanique... mais pas
toujours inévitable
Ce que beaucoup ignorent : il
existe depuis la loi Pacte de 2019 un mécanisme de neutralisation des
effets de seuils, qui permet de ne pas appliquer immédiatement certaines
obligations pendant 5 ans, même si le seuil est franchi.
Concrètement :
Une entreprise qui dépasse un
seuil pour la première fois ne voit pas les obligations associées s’appliquer
immédiatement.
Ce n’est qu’en cas de franchissement pendant 5 années civiles consécutives
que les obligations sont pleinement déclenchées.
Mais ce mécanisme suppose :
- un suivi rigoureux des effectifs en équivalent
temps plein,
- une connaissance précise des règles de décompte
(Code de la sécurité sociale, art. L.130-1),
- et une anticipation des conséquences au-delà du
délai de tolérance.
En pratique, ce levier est
rarement utilisé correctement, souvent par manque d’information ou de
pilotage RH structuré. Résultat : certaines startups appliquent des obligations
trop tôt… tandis que d'autres les ignorent trop longtemps, avec des risques
juridiques à la clé.
4. Ne pas négliger
l’onboarding et l’offboarding RH
Dans un contexte de forte
croissance, il est fréquent d’enchaîner les recrutements. Mais ce que l’on
anticipe moins, ce sont les départs tout aussi fréquents : période
d’essai rompue, mauvaise adéquation au poste, démissions rapides,
réorganisations internes. Or, chaque entrée ou sortie de salarié mal gérée peut
avoir des conséquences lourdes, tant sur le plan juridique que sur la
marque employeur.
Les risques d’un onboarding
mal structuré :
- Intégration défaillante du salarié, générant de la
démotivation dès les premières semaines.
- Oubli de formalités légales : DPAE non transmise à
temps, visite médicale non programmée, défaut de remise des documents
contractuels.
- Ambiguïtés sur les conditions de la période d’essai
(durée, renouvellement, critères d’évaluation).
- Absence de remise de matériel ou de consignes de
sécurité dans certains cas (avec responsabilité de l’employeur en cas
d’incident).
Les risques d’un offboarding
bâclé :
- Solde de tout compte erroné (CP mal calculés, IJSS
non intégrées, indemnités oubliées) pouvant entraîner un contentieux.
- Blocage de droits au chômage pour le salarié (en
cas de mauvais paramétrage du motif dans l’attestation Pôle Emploi).
- Manque de traçabilité dans la restitution du
matériel, des accès et des données sensibles.
- Mauvais retour public sur la gestion humaine de
l’entreprise, notamment sur Glassdoor ou LinkedIn, nuisant à l’image
employeur.
Conseil : Formalisez un processus clair
pour l’entrée et la sortie des salariés, même si vous n’avez pas encore
de service RH interne.
À l’entrée :
- DPAE transmise au plus tard le jour de l’embauche,
- Contrat signé, avenants éventuels formalisés,
- Matériel remis contre signature,
- Visite médicale d’embauche planifiée,
- Intégration structurée (accès aux outils, référent
identifié, formation initiale, objectifs clairs).
À la sortie :
- Calcul rigoureux du solde de tout compte (CP,
primes, régularisations),
- Transmission de tous les documents obligatoires :
certificat de travail, reçu pour solde de tout compte, attestation Pôle
Emploi, Bilan individuel d’exposition (le cas échéant),
- Reprise du matériel et suppression des accès,
- Entretien de départ (optionnel mais utile pour
améliorer les pratiques).
5. Sécuriser votre conformité
sociale en vue d’une levée de fonds
Lorsque votre startup entre dans
une phase de levée de fonds ou d’ouverture du capital, l’attention ne se porte
pas uniquement sur votre produit ou vos indicateurs financiers. De plus en plus
d’investisseurs, fonds ou corporate ventures intègrent dans leur processus de due
diligence un audit social, parfois poussé.
L’objectif : vérifier que
l’entreprise est conforme à ses obligations légales et sociales, et
qu’aucune irrégularité ne pourrait générer de contentieux, de redressement ou
de blocage administratif dans les mois à venir.
Ce que les investisseurs
regardent de plus en plus souvent :
- DUERP (Document unique d’évaluation des risques
professionnels) : document obligatoire dans toutes les entreprises dès
le premier salarié. Son absence peut être interprétée comme un manque de
maturité managériale ou de gestion des risques.
- Affiliations mutuelle et prévoyance :
vérification que tous les salariés ont été affiliés aux bons régimes,
selon la convention collective applicable, et que les dispenses
éventuelles sont formalisées.
- Bulletins de paie : les bulletins doivent
être justes, cohérents, respecter la convention collective, intégrer
correctement les primes, heures supplémentaires, IJSS subrogées, etc.
- Application de la convention collective :
choix cohérent avec l’activité réelle de l’entreprise, respect des
minimas, des classifications, de la durée de travail, etc.
- Dossiers RH individuels : contrats signés,
avenants formalisés, suivi des périodes d’essai, historique des
rémunérations et des évolutions statutaires.
Les conséquences d’un dossier
social mal tenu :
- Blocage ou retard dans la levée de fonds, avec
demande de régularisation en amont du closing.
- Réduction de la valorisation, en cas de doute sur
la qualité de la gestion RH et sociale.
- Introduction de clauses de garanties spécifiques
dans le pacte d’associés pour couvrir les risques.
- Perte de crédibilité auprès de l’investisseur, qui
peut s’interroger sur la gouvernance globale de l’entreprise.
Conseil :
Dès que vous atteignez 5
salariés, il est pertinent de réaliser un audit de paie et social,
même léger, pour vérifier :
- la conformité des bulletins,
- l’exhaustivité des déclarations (DSN,
affiliations),
- la régularité des contrats de travail et avenants,
- la correcte application de la convention
collective.
Ce travail de structuration est
également utile en dehors d’une levée de fonds : il facilite les
relations avec les salariés, les organismes sociaux, et améliore la gouvernance
globale de l’entreprise. Si vous ne disposez pas de service RH ou juridique
interne, vous pouvez externaliser cet audit auprès d’un prestataire
expérimenté, capable de vous fournir un état des lieux rapide, des
recommandations et une assistance à la mise en conformité.